mardi 5 février 2008

Autour du livre (tentative d'analyse)

Partie II Quel avenir pour les libraires?

Des interrogations multiples sont soulevées par les libraires au sujet des changements en cours. De nombreux sites se penchent sur l'avenir de la librairie, donnent le pouls de la situation (melico, la feuille, le tiers livre, le blog de la SFL...) mais il faut rester prudent.

Qu'y-a-t-il de commun entre une librairie de campagne et une librairie de grande ville? Qui sait que les sex-shops sont considérés comme des librairies spécialisées? (Sex-shops : Une histoire française de Baptiste Coulmont aux éditions Dilecta)

  • Ce qu'on appelle librairie indépendante regroupe trop de commerces particuliers, de taille et de structure différentes. Incomparables dans leur fonctionnement, leur rapport aux clients et leurs capacités financières.

  • De plus, il faut se méfier d'un jeu économique
    -où les règles ne sont pas les mêmes pour tout le monde (certains libraires n'atteignent pas un seuil de vente suffisant pour avoir la visite des représentants)
    -où les intérêts en jeu divergent (selon que le libraire emploie ou non des salariés)
    -où les rapports sont faussés (le marché d'approvisonnement des collectivités, bibliothèques par exemple, offre une certaine respiration à ceux qui le détiennent)

Force est de reconnaître que les gros groupes (FNAC, AMAZON, VIRGIN...) recentrent leur politique sur le commerce du livre pour compenser le déclin du disque et du DVD. Déjà bien armés, ils accentuent leur combativité, précisent leur agressivité.

Le combat contre les frais de livraison gratuits perdu par AMAZON (entre autres) ne l'empêche ni de pratiquer le « forcing » ni des opérations « ponctuelles ». Mais certains libraires sur leur site en ligne pratiquent également la gratuité ou des frais de port allégés. Que faut-il en penser? La poste devrait sûrement modérer ses tarifs comme d'autres pays européens (voir le combat de l'Atelier du Gué en ce sens) tout en préservant une certaine fiabilité.

Quant au système des remises exigées par AMAZON au près des éditeurs (avoisinant parfois les 50%), c'est une méthode de grande surface. Je ne crois pas qu'il soit juste de lier la gratuité des frais de port à ce fonctionnement crapuleux. Certains gros libraires font la même chose. De même qu'il est courant de jouer avec les délais de paiement (échéance de 3 mois, parfois plus selon les quantités de livres commandés), certains libraires négocient des vitrines ou des emplacements privilégiés en échange de conditions commerciales plus avantageuses.

Ce n'est pas dans l'esprit de la librairie mais dans celui du commerce.

Au delà de l'hypocrisie et du jeu de dupes liés aux enjeux économiques, il faut s'interroger sur les difficultés rencontrées par les librairies indépendantes. La vente en ligne est-elle responsable de tous les maux? (François Bon: déchaîner la chaîne)

  • Il faut prendre en compte les habitudes d'un public plus indépendant, moins homogène; admettre qu'il peut être intimidant d'avoir le regard du libraire sur son dos en permanence et se dire qu'un client peut éprouver une certaine délivrance vis à vis de l'anonymat des grosses structures. L'apparente abondance de l'offre y est souvent enthousiasmante et l'on se dit qu'on n'aura pas à commander ni à revenir deux fois pour obtenir son livre. Reconnaissons aussi avec regret qu'il arrive trop souvent d'être pris pour un imbécile par LE libraire qui « sait » et de sentir que l'on gêne quand on achète un livre à deux euros, que l'on vient pour un renseignement ou pour feuilleter quelques ouvrages. A contrario, on peut trouver des personnes de bon conseil et des libraires compétents dans des grandes surfaces dites culturelles.

  • Le prix du livre, en dehors de quelques collections spécifiques, est en hausse constante, parfois prohibitoire et sans réelle justification à part le coût du papier.

  • Les charges fixes liées à l'équipement, au loyer augmentent excessivement (notamment à Paris où se situe une majorité de librairies françaises). On pourra s'étonner de la cherté d'une base de données professionnelle (Electre) qui ne réfèrence plus les tirages de moins de 500 exemplaires.

  • Certains diffuseurs en position de quasi monopole imposent des conditions inadmissibles (envoi obligatoire de certaines nouveautés, obligation d'un stock minimum...) aux libraires. L'inverse est vrai aussi. Le gros étouffe le petit ou en prend le contrôle; c'est la loi du marché.

  • Il y a un système qui permet aux libraires de retourner sous certaines conditions les nouveautés (facturées à l'envoi) invendues. Celles-ci sont alors créditées. Le problème est que les éditeurs augmentent leurs parutions (une partie est distribuée d'office) pour augmenter leur trésorerie et que les libraires (dont la place et les ventes ne sont pas extensibles) augmentent leurs retours dans la même proportion. Les crédits augmentent et les éditeurs pour les couvrir augmentent les nouveautés (voilà une des raisons à la surproduction). Nous sommes face à un jeu d'écritures comptables, un système de cavalerie où le premier qui s'écroulera entraînera les autres dans sa chute.

  • Le nombre d'ouvrages finit par étouffer le libraire. Les boutiques sont encombrées de cartons. La manutention est de plus en plus lourde. La logistique devient un soucis majeur: coût, pollution (la ville de Paris veut développer les livraisons de nuit), délai (les grandes surfaces peuvent imposer des horaires aux transporteurs ce que ne peuvent pas faire les petits).

  • Le temps n'étant pas extensible, le libraire voit sa marge de manœuvre diminuer. Comment, dans ces conditions, renseigner sereinement le client, l'orienter correctement? Comment s'informer et synthétiser son savoir afin de le transmettre? Comment mettre en avant le fonds (choix et diversité) alors que 20% des livres apportent 80% des revenus? Comment rester disponible quand son temps est rongé par des soucis de place, de finance et de manutention?
    Comment laisser au lecteur le temps de s'approprier un titre avant qu'il ne soit retourné?

Bien sûr, il y a des tentatives de réponses :

  • Il faut souligner le travail exemplaire de certaines régions en faveur du Livre.
  • Des librairies spécialisées dans la bande dessinée ont associé leurs forces autour d'un projet commun en misant sur la qualité, le professionnalisme, le conseil (Canal BD). Cela ressemble à un label de qualité, un certificat de confiance à mon avis très efficace.

  • Le SNE travaille à une meilleure diffusion des petits éditeurs indépendants (système Calibre) pour réduire les frais et les délais de livraison car ils savent que les librairies indépendantes restent la clef de voûte de la diversité culturelle, de la transmission. Elles sont les relais d'une certaine liberté. La survie de nombreux éditeurs dépend d'elles.

  • Le SLF étudie un projet de portail en ligne afin de regrouper l'offre des librairies de proximité. Toutefois, le rapport Euclyd me laisse perplexe dans sa présentation (approximations, fautes d'orthographe). Je vous conseille la lecture critique d'Hubert Guillaud.

    De nombreuses personnes manquent de réactivité et de compréhension vis à vis des nouveaux médias. L'appréciation d'Internet comme site vitrine permettant de gagner plus est largement répandue. On appréhende rarement son impact et le travail que son entretien demande. Pourtant un site mal conçu, aux mises à jour irrégulières, dessert l'entreprise qu'il est censé valoriser.

Malgré tout, je pense que les librairies de proximité ont un bel avenir devant elles.

Des pistes sont à suivre du côté des Sciences sociales et des bibliothèques confrontées, depuis quelque temps, à des bouleversements de même ampleur. Les mouvements autour d'Internet sont à considérer, eux-aussi, avec attention, pour leur potentialité.


Des libraires essayent d'innover, d'évoluer; ils s'adaptent.
Des passerelles apparaissent entre différentes formes artistiques et intellectuelles, le livre tend à redevenir précieux.
Les libraires-imprimeurs peuvent-ils renaître de leurs cendres?
Et pourquoi n'irait-on pas vers un développement de « nouveaux salons littéraires »?

Autant de questions en suspens...


Seuls ceux qui cultivent l'excellence, la différence, s'en sortiront. Ils sont peu et les temps sont durs. Bien sûr, ceux qui ont les reins assez solides pour passer cette période transitoire arriveront à rebondir quelque soit leur éthique professionnelle.

Mais pour les autres, le but sera de dégager un fonctionnement économique viable car il s'agira de vendre un savoir, une connaissance, de guider le public au travers d'une jungle d'informations.

La vraie valeur ajoutée de notre époque étant le rapport « matière grise – relations humaines », le libraire devrait retrouver son rôle de passeur, de défricheur: un métier exigeant.


-Monsieur-

Pour compléter ce chapitre, je vous encourage vivement à lire le texte de François Bon: Une histoire de la librairie, véritable déclaration d'amour et de passion.
Prenez le temps d'écouter un autre passionné, Jacques Noël, libraire au Regard Moderne à Paris sur Arte radio. Un grand monsieur.




1 commentaire:

Anonyme a dit…

Oh ! merci bien d'avoir mentionné mon livre. Les sex-shops ont en effet longtemps été considérés comme des librairies, et ils le sont toujours par les Pages Jaunes par exemples ("librairies érotiques"...).